dimanche 28 décembre 2008

La grande promenade

Il n'y avait aucun bruit. Seul la vague qui venait chatouiller les rochers parraissait vouloir exister. Elle revenait sans arrêt me poser des questions, ou plutôt une question, toujours la même. Elle voulait savoir pourquoi tout ce silence. Elle s'inquiétait.

Même s'il ne parlait pas, j'avais l'impression que jamais un homme n'avait été aussi bruyant. Son regard se multipliait, et il remplissait la pièce, jusqu'alors trop petite pour contenir sa présence. J'imaginais que sa maison avait un grand respect pour cet homme, comme son maître, son protecteur. Lui qui avait mis son sang et sa sueur sur ses poutres et ses entrailles, chaudes et jaunes jusqu'à la terre. Lui qui l'avait réchauffée dans les plus froides nuits d'hiver. Il lui avait prêté tout son savoir, ses souvenirs. Elle lui laissait maintenant toute la place, et le soutenait dans ses derniers efforts, sa dernière promenade, plus lente qu'à l'habitude. Et son respect témoignait du fait qu'elle avait compris.

Même si sa mémoire lui jouait des tours, il savait très bien saisir l'ampleur du moment, où un mot aurait été plus vide de sens que la mort elle-même. Seul le craquement de la chaise qui se balançait, elle qui le connaissait si bien, calmait et apaisait ma peine et mon grand désarroi. J'étais assis là, respirant difficilement, cherchant à faire le moins de bruit possible. Le temps que nous passions ensemble effaçait absolument tout, tout ce qui avait été dit, ce qui avait été ri, et pleuré. Seul ce moment comptait.

Je regardais ses rides, ses yeux, brillants, qui cherchaient la lumière, encore émerveillés par les nuages, et son subtil sourire, calme, comme une chanson fredonnée. Ses mains croisées trahissaient son savoir, posées sur son genou comme une lettre d'adieu. Ses gestes, aussi anodins soient-ils, m'impressionnaient, comme s'ils étaient des oeuvres à part entière, figées à jamais dans ma mémoire, comme un tableau qui pose des questions, sans cesse interprété de différentes manières. Lui qui n'avait été qu'un spectateur toute sa vie se faisait regarder pour la première fois, mais cela faisait qu'il n'en était que plus fier.

Il posa son regard sur moi, puis ferma les yeux en souriant. Et le craquement arrêta.

Au revoir grand-papa.

vendredi 26 décembre 2008

Matin de juin

Elle me réveilla avec sa langue. Ses yeux savaient déjà où ils s'en allaient. Je les guidait sans qu'ils s'en aperçoivent, laissant le doute embellir, laissant la chance la gagner de frissons, de sourires. Le soleil était à son plus haut, et il ne faiblissait pas. Ses rayons faisaient miroîter la sueur sur nos visages, sur son ventre.

L'intérieur de ses cuisses était si doux, si fragile, il me semblait précaire, prêt à s'effronder, à tomber dans le vide du désespoir, du non-sens, et à tout oublier. Sans foi ni loi. Juste pour dire qu'elle l'a vécu, durant quelques secondes, puis en parler comme d'une merveille, qui n'arrive qu'une fois. Avoir une fois ce sentiment, mais l'oublier tellement vite qu'il disparaît et se fait désirer aussitôt. Ses yeux savaient crier, et les lignes de blanc qui se dessinaient n'avaient rien de durable, si ce n'est le rire que cela allait provoquer.

mardi 9 décembre 2008

Vers le large

Je la sentais vivre au bout de mes doigts. Ses frissons résonnaient jusqu'à la rivière. Elle me tenait fermement, pour être certaine de puiser toutes les forces qui me restaient, de faire s'échapper la dernière goutte de plaisir. L'air chaud de la terre enveloppait ses fesses, appuyées contre l'écorce. La sueur coulait dans mes yeux, embués par les regards bleus.

Lorsque je me réveilla le lendemain matin, dans mon lit, elle me chevauchait, les yeux encore épuisés, faisant poursuivre mon rêve de douceur, pensant au monde imaginaire du ralenti, encore plus doux qu'à l'habitude.

Elle dormait sur le divan, se préparant à manger sa proie. Je regardais les arbres, qui se balançaient sur le vent, semblant demander leur chemin vers d'autres lieux, voulant s'envoler et revenir au début du cycle, sans souvenir et sans regard, juste pour avoir la surprise de vouloir apprendre, juste pour dire les mots dont l'on ne se lasse pas, pour faire les gestes inconscients, pour oublier le temps, et mourir sans arrêt.

Je ne la connaissais pas vraiment. Je savais à peine son nom. Mais l'emprise qu'elle avait sur moi m'effaçait petit à petit. Lorsqu'elle s'approchait de moi, je ressentais une profonde peur, un grand vide, sans air, figé dans le temps et dans le noir. Comme des années écoulées, comme des qualités oubliées. Ses yeux en savaient beaucoup. Si j'avais su qu'elle était si belle, je me serais jeté dans le ravin bien avant. Tu me manques, et je te hais.

samedi 6 décembre 2008

Défi

C'était il y a de cela très longtemps.

Ça devait faire deux mois. On faisait l'amour à tous les jours, parfois le matin. C'est tout ce qu'on espérait. C'est tout ce qu'on voulait. On se regardait, en s'embrassait à pleine bouche, les yeux remplis de lueur, et la langue amoureuse. Elle riait, elle jouissait fort, intensément, et elle disait qu'elle n'avait jamais autant aimé quelqu'un. Que personne auparavant ne l'avait comprise aussi profondément, ne l'avait regardait de cette façon.

Sa façon de dire les choses me fascinait. J'avais cette bizarre impression qu'elle était réellement en amour avec moi. Que ses attentions particulières avaient véritablement pour but de me rendre heureux.

Un matin que nous jouissâmes à l'unisson, elle me regarda, encore quelque peu sur l'orgasme, et elle dit, de tout son coeur, qu'elle serait prête à faire n'importe quoi pour moi. Je me retirai, et je la regardai pendant plusieurs secondes, cherchant le moindre mensonge, la moindre hésitation. Mais tout était vrai. Ses yeux étaient intactes, et cela me faisait peur. C'est là que tout a commencé.

À partir de ce moment, plus rien n'a été pareil. Même si je lui répétait que ce qu'elle disait était utopique, sans fondement sensé, propre aux rêves, elle continuait de répéter qu'elle ferait n'importe quoi. Vraiment? Vraiment. Moi aussi, j'aurais fait n'importe quoi, c'était évident, mais jamais je n'aurais pensé que cela irait aussi loin.

Je prenais plaisir à la faire souffrir. Je lui faisait seulement vivre les conséquences de ses paroles. Étant donné qu'elle était prête à tout, je lui dit pour commencer que se faire baiser par mes amis serait une preuve d'amour exceptionnelle, et qu'à mes yeux, elle serait la femme la plus aimante que je connaisse. Bien sûr, elle n'hésita pas un seul instant. Je dus admettre que la rigueur avec laquelle elle remplissait mes ordres était impressionnante.

Lorsqu'elle eût couché avec tous mes amis et qu'elle eût même déviergé mon jeune frère de 16 ans, je savais en regardant ses yeux qu'elle attendait de moi rien de moins que la même rigueur dont elle faisait preuve dans sa déclaration de l'amour qu'elle me portait. Je fus donc obligé de la prendre en levrette, lors des funérailles de mère, en arrière du buffet. J'étais assez fier de moi, et je pouvais voir dans ses yeux toute la fierté qu'elle portait à mon égard, émue d'avoir un homme sensible, et aimant.

Les choses se corsaient. Jusqu'où irions-nous? Quelles limites serions-nous capable de franchir? L'inconnu nous excitait, augmentait la ferveur avec laquelle nous nous lancions des défis. Notre amour ne cessait de grandir, de devenir plus fort, au fur et à mesure que nous marchions ensemble, dans la même direction.

Le jour où je lui ai demandé de se tuer a été un des plus beau jour que nous avons passé ensemble. Sa façon de me regarder, les larmes de joie coulant sur sa joue, son sourire, au moment même où elle lâcha la rampe du pont, ses yeux, si brillants et si clairs, sa bouche m'envoyant un dernier baiser, c'était là tout ce que je pouvais espérer de l'amour. Une femme qui m'aime, à la folie.

Chaque fois que je vais la visiter, j'y dépose des fleurs et un de mes doigts, pour m'excuser d'avoir été le moins amoureux des deux.