mardi 22 juillet 2008

Les yeux fermés

Un grand sourire lui transperce le visage. Les oreilles à l’écoute, et les yeux fermés, il prend une grande respiration, et tombe. Étendu sur le sol, il sourit bêtement aux nuages.

Il pense aux froids hivers du vieux continent, où il neige sans relâche, et où il vente comme au dessus de la mer, la nuit. Il n’y a jamais de pause, et il n’y a surtout pas de moment où l’on peut se cacher, se couvrir, ou même seulement penser que c’est un rêve. Sans répit, on se bat du mieux que l’on peut, mais la neige continue de tomber et elle emprisonne nos poignets dans la glace. Elle gèle les alvéoles, brise les valves, et mélange les circonvolutions. Toute forme de volonté et de courage s’efface, et notre corps devient l’esclave du temps, qui ralentit sans cesse. Chaque fois que l’on nage vers le rivage, on est repoussé encore plus loin, et la mer s’agrandit, et l’océan se creuse. Les cimes noires et blanches jouent avec notre corps et le mutile, et le ressac devient si assourdissant qu’il tue la plupart des oiseaux venus nous aider.

Il respire à nouveau. Il ne sent plus ses membres. Sa tête diffuse les images noires de sa vie à répétition, et elle le brûle. Sa chair noircie, puis sous la chaleur intense, calcine, et devient de la cendre moite et grise. Ses os se brisent puis deviennent poreux, et éclatent, perforant ses yeux et son sourire encore intactes.

Il pense aux malheurs de l’automne, revenant chaque année et se resserant davantage, comme un barbelé enroulé autour de sa poitrine et de ses cuisses. Lorsque la feuille tombe, l’arbre se brise en tombant de tout son haut, entraînant les racines à la lumière. Comme un oiseau malade sur qui l’on met de nouvelles ailes, elles se réveillent de leur long périple, et elles prennent leur envol dans la terre à la recherche d’une nouvelle vie, d’un nouveau but. Mais bien vite, elles se rendent compte que leurs cœurs ont été coupés en deux, et qu’elles ne peuvent survivre. Ayant accepté leur sort, elles se tournent vers le soleil, et meurent desséchées.

Il prend son couteau comme on prend une arme. La lame semble dessiner une forme arrondie dans l’air. Elle chante le dernier souffle d’un ange avant de mourir, sur le point de tomber des cieux, inconscient devant la mort et devant sa propre vie, hypnotisé devant ce grand escalier majestueux qui descend à la vitesse de la lumière.

La mort glisse sur le métal rouillé.

La lame accélère son mouvement, devenant plus rapide que sa propre vie, dépassant son rythme cardiaque et le clignotement de ses pupilles. Elle respire à sa place, elle vit à sa place. Elle prend tout ce qu’il lui reste, toutes les émotions réchappées, toutes les joies et les peines sauvées de l’oubli. Elle les prend une à une et elle les noie. Il ne lui reste alors plus rien, excepté sa propre mort, son dernier souffle. Elle le lui laisse pour qu’il ne l’oublie jamais, même dans les hauteurs de l’enfer.

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