mercredi 6 août 2008

Harold

J’avais à peine eu le temps de redescendre de l’échelle que ma femme m’agrippait déjà par la ceinture pour m’obliger à installer le nouvel appareil minceur qu’elle s’était acheté par téléphone, fabriqué et expédié directement d’une usine utilisant les dernières technologies en matière de santé et de conditionnement physique. En effet, l'usine avait été complètement rénovée et mise à neuf après le terrible incendie qui avait tué tous les travailleurs présents, la plupart vivant dans le nord de la ville d’Aurangabad, en Inde.

Je me souviens encore lorsqu’elle était au téléphone en train de se faire convaincre que cet appareil était fabriqué exclusivement pour son genre de problème. Enfin, c’est ce que j’ai supposé, même si elle ne semblait pas comprendre un traitre mot de ce que le vendeur lui disait, feuilletant son dictionnaire allemand-français tout en tenant le combiné avec son épaule.

Après quelques jours de travail, je finis de niveler le terrain et d’installer les dernières charpentes de son exerciseur. Je l’entendis alors, de la cuisine, parler au téléphone avec un bel homme, dans la quarantaine, grand et bien membré. Elle riait aux éclats et murmurait des mots dans un allemand ma foi fort respectable. Après avoir ramassé tous les morceaux de plafond trainant autour de l’appareil, je sortis prendre l’air.

Je revins le lendemain matin, sans soulier et sans chemise. Ma femme était sur le balcon, entourée de quelques personnes dont je ne connaissais pas le nom. La plupart des gens présents avaient l’air gentil, à l’exception de peut-être un ou deux. Je décidai de les accueillir comme il se doit en m’agenouillant devant eux, encore un peu flou à cause de la veille. Mes genoux craquèrent si fort qu'ils se retournèrent tous vers moi, essayant tant bien que mal de m’apercevoir à travers les arbustes qu’il y avait devant ce fossé. Deux personnes qui ne ressemblaient pas du tout à des membres de ma famille ou à celle de ma douce vinrent me chercher, essayant de ne pas s’agenouiller eux aussi, de peur de trop se salir.

Ma très chère fleur du printemps vint près de moi pour s’assurer que j’allais bien, criant et répétant qu’elle avait eu très peur de me perdre à jamais, et que je ne lui avait pas laissé assez d’argent pour les différents solliciteurs qui passaient durant la journée. En tentant de m’aider à me relever, elle fit glisser mon portefeuille hors de mon pantalon avant de le ramasser de justesse évitant ainsi qu’il tombe dans la boue. Son pied glissa ensuite sur l’asphalte et vint s’arrêter directement en haut de mes deux cuisses.

Quelques années plus tard, je fus pris d’une peine sans nom lorsqu’on m’annonça la mort de ma tendre biche. Elle vivait depuis trois ans dans une petite ville au nord de l’Allemagne et elle avait péri dans un accident de train, tuant du même coup mes pauvres enfants, le petit Emmerich et la mignonne Griselda. Même si je savais qu’elle m’aimait encore, j’aurais aimé la voir une dernière fois pour lui dire qu’elle était bel et bien la femme de ma vie. J’avais été un peu dur avec elle, et je me sentais coupable. Je pris donc un billet de train en direction de Pékin. Durant le trajet, j’allai porter une bouteille de whisky bon marché au chauffeur en le suppliant de faire dérailler le train dans le but de rendre hommage à ma femme.

Quelques semaines plus tard, comme cela avait été convenu, on m’emmena devant un grand monsieur qui n’arrêtait pas de me demander de jurer, ce à quoi je répondais que je ne jurais jamais, de peur d’aller en enfer. Ayant promis d’essayer de dire toute la vérité, je fus libéré sur parole.

Depuis ce jour, je fuis le bloc communiste et ses pays baltes, cette terre hostile qui m’a pris ma femme et mes enfants.

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