dimanche 28 décembre 2008

La grande promenade

Il n'y avait aucun bruit. Seul la vague qui venait chatouiller les rochers parraissait vouloir exister. Elle revenait sans arrêt me poser des questions, ou plutôt une question, toujours la même. Elle voulait savoir pourquoi tout ce silence. Elle s'inquiétait.

Même s'il ne parlait pas, j'avais l'impression que jamais un homme n'avait été aussi bruyant. Son regard se multipliait, et il remplissait la pièce, jusqu'alors trop petite pour contenir sa présence. J'imaginais que sa maison avait un grand respect pour cet homme, comme son maître, son protecteur. Lui qui avait mis son sang et sa sueur sur ses poutres et ses entrailles, chaudes et jaunes jusqu'à la terre. Lui qui l'avait réchauffée dans les plus froides nuits d'hiver. Il lui avait prêté tout son savoir, ses souvenirs. Elle lui laissait maintenant toute la place, et le soutenait dans ses derniers efforts, sa dernière promenade, plus lente qu'à l'habitude. Et son respect témoignait du fait qu'elle avait compris.

Même si sa mémoire lui jouait des tours, il savait très bien saisir l'ampleur du moment, où un mot aurait été plus vide de sens que la mort elle-même. Seul le craquement de la chaise qui se balançait, elle qui le connaissait si bien, calmait et apaisait ma peine et mon grand désarroi. J'étais assis là, respirant difficilement, cherchant à faire le moins de bruit possible. Le temps que nous passions ensemble effaçait absolument tout, tout ce qui avait été dit, ce qui avait été ri, et pleuré. Seul ce moment comptait.

Je regardais ses rides, ses yeux, brillants, qui cherchaient la lumière, encore émerveillés par les nuages, et son subtil sourire, calme, comme une chanson fredonnée. Ses mains croisées trahissaient son savoir, posées sur son genou comme une lettre d'adieu. Ses gestes, aussi anodins soient-ils, m'impressionnaient, comme s'ils étaient des oeuvres à part entière, figées à jamais dans ma mémoire, comme un tableau qui pose des questions, sans cesse interprété de différentes manières. Lui qui n'avait été qu'un spectateur toute sa vie se faisait regarder pour la première fois, mais cela faisait qu'il n'en était que plus fier.

Il posa son regard sur moi, puis ferma les yeux en souriant. Et le craquement arrêta.

Au revoir grand-papa.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

tous les mots sont bien choisis.. Bravo.. j'adore.
xx

Johanne a dit…

T'es fantastique...
je suis ta plus grande fan...
Johanne xx

Carole a dit…

Je viens de découvrir ce texte. C'est tellement beau et émouvant !! Ca me rappelle mon grand-père, parti trop tôt lui aussi...

Cory a dit…

Je viens de lire ton texte grâce à Carole.
C'est vraiment superbement écrit. Plein de pudeur, de respect et de tendresse.
C'est vraiment un magnifique hommage
Cory